Entretien avec Emma JOUTEAU, véritable virtuose du guidon en BMX

Dernière mise à jour : 28 oct. 2021


«Bonjour Emma, peux-tu te présenter pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas?


Bonjour, je m’appelle Emma Jouteau, j’ai 20 ans et je pratique le BMX race depuis mes 5 ans. Je figure sur la liste ministérielle, ce qui me donne le statut de « sportive de haut niveau » depuis 2017. En parallèle, j’ai bien sûr suivi des études : j’ai décroché mon Baccalauréat Littéraire et j’ai ensuite suivi et obtenu une formation DEJEPS (Diplôme d’Etat Jeunesse, Education Populaire et Sports) spécialité BMX RACE pour encadrer et entraîner dans mon sport. A terme, j'aimerai entrer dans le cercle des entraineurs nationaux sur les stages U22 ou/et U16.



D’où est née cette passion pour le BMX?


Initialement, je voulais faire du basket, et mon grand frère de la moto-cross, mais mes parents n’avaient pas les moyens de financer la saison de moto-cross. Un jour, c'est par hasard que mon père est tombé sur un article dans le journal annonçant qu'une démonstration de BMX allait avoir lieu pas très loin de notre domicile. À deux pas du terrain de BMX, la même après midi, il y avait également une porte ouverte de basket. Je suis d’abord allée sur les bords de pistes de BMX regarder mon frère. Je le voyais revenir de chaque tour avec un sourire dingue, et je voyais qu’il s’amusait! Je me suis dit « tiens, pourquoi pas essayer ça à l’air plutôt sympa ». J’ai demandé à tester et je n’ai même pas pris la peine d’aller voir le basket après, j’ai tout de suite accroché avec le BMX et au charme de ce sport. Le BMX est donc mon premier et seul sport.



Tout le monde connaît le cyclisme, mais pas forcément le BMX. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta pratique?


Le BMX est devenu une discipline Olympique depuis 2008, lors des Jeux à Pékin. C’est un sport extrême qui se pratique en course sur un terrain d’environ 400m de long, parsemé de bosses et de virages. Nous partons à 8 pilotes sur une grille de départ, et le but est de franchir la ligne d'arrivée le premier en jouant stratégiquement, tactiquement et techniquement sur la piste. Nous avons des catégories d’âge dès 6 ans et jusqu’à 50 ans et plus mais la catégorie reine reste « l’Elite », accessible dès l’âge de 19 ans.

Il existe aussi des courses appelées « supercross » où seuls les pilotes Juniors et Elites (les deux plus grosses catégories) peuvent y participer. Le format de courses et de pistes est différent : pour commencer, les 8 pilotes partent sur une bute de départ à 8m de hauteur. Les bosses sont plus grosses et la course est plus exigeante.

Emma ici en bleu



Malgré la beauté de ce sport et le spectacle qu’il propose, il n’est pas sans risques et tu as pu en faire les frais à plusieurs reprises.. Comment fais-tu pour te relever des échecs/déceptions que ces chutes peuvent engendrer?


C’est vrai que ce n’est pas un sport sans risque, mais en réalité, quels sports sont réellement sans risques? Aucun! Je suis suivie par un préparateur physique tout au long de la saison, et j’ai également été accompagnée par un préparateur mental ces 3 dernières années. Je ne vais pas vous mentir, j’ai eu des moments de doutes, de questionnements, de remises en question, qui arrivent fréquemment après des grosses chutes ou des blessures a répétition comme j’ai malheureusement eu l’occasion de connaitre. Plusieurs fois on m’a dit d’arrêter après mes plus grosses chutes, mais j'ai préféré me laisser guider par cette petite voix qui me disais « Eh, oh, tu n'es pas arrivée ici par hasard, c’est ce que tu aimes faire, tu as des objectifs, des buts, alors relève toi, relève la tête, retournes-y et tu verras que ça va le faire! ». Quand on a des objectifs, à long ou a court terme, on va tout faire pour que ce soit possible. Même si c’est parfois long de se remettre dans le bain après des semaines, voir des mois de rééducation après une chute, rien n’est plus plaisant que la satisfaction d’atteindre un objectif qu’on s’était fixé. Je dirais simplement que je suis persévérante, et que j’ai envie d’y croire.



En 2018, tu as eu la chance d’intégrer le pôle France Jeune de Bourges, puis un an plus tard le temple du cyclisme français : le pôle Olympique de St Quentin en Yvelines. Peux-tu nous parler de la vie dans un pôle BMX?


Nous sommes constamment entourés de spécialistes de la santé, que ce soient des kinésithérapeutes, psychologues, diététiciennes, préparateurs physiques / mentaux… En parallèle je passais donc mon baccalauréat et sur ce sujet là, la ligne de conduite des entraineurs et des cadres du CREPS était simple : les études avant le sport. Si nous n'avions pas de bonnes notes dans telle ou telle matière, ils nous supprimaient un entrainement dans la semaine pour que nous puissions nous mettre à la page niveau scolaire. Une fois à jour, nous pouvions réintégrer les entrainements normalement. Je n’ai pas eu l’occasion d’être scolarisée au Pôle Olympique, mais je suivais une formation et c’était très similaire sur le plan suivi du sportif. Être dans un Pôle c’est faire des sacrifices mais c’est aussi quelque chose de grand que je recommande à toutes celles et ceux qui ont l'occasion de vivre cette expérience! Progresser aux côtés de pilotes plus motivés les uns que les autres c'est magique.



Malheureusement, aujourd’hui en France, le BMX est limité économiquement ; comme le prouve ton voyage pour les championnats du monde 2017 aux Etats-Unis que tu as toi même dû auto-financer, au travers d’une campagne de financement participatif. Azerbaïdjan, Italie, Belgique, Pays-Bas.. de belles compétitions sont proposées aux quatre coins du globe mais qui, au-delà de l’aspect sportif, ne doivent pas être accessibles à tous? Comment, vous, les “riders” de haut niveau, êtes-vous aidés économiquement?


Nous avons des critères de sélections pour rejoindre l’Équipe de France. Si nous réussissons à y accéder, tout nous est entièrement financé. En revanche, si nous ne sommes pas retenues dans l’Équipe, nous devons trouver une solution financière par nos propres moyens. Récemment la Fédération Française de Cyclisme a mis en place avec la FDJ une action nommée « Programme FDJ », qui comprend une équipe de filles de moins de 23 ans, qui sont potentiellement la relève des pilotes qui sont actuellement en Équipe de France. Ce programme a pour but de regrouper les filles sélectionnées sur des stages d’une semaine, sur les pistes au format supercross afin de préparer la saison coupe d’Europe. Sur ces courses là, toutes les filles du programme seront suives et prises en charges. A chaque pilote est attribué un coach référent qui suit régulièrement la progression de l'athlète tout au long de la saison.



Parle nous de ta plus belle performance depuis tes débuts?


Je dirais sans hésiter que c’est mon Championnat du Monde à Bakou en Azerbaïdjan en 2018. Au début de cette saison, j’avais fait une grosse chute en coupe d’Europe qui m’avait éloignée des circuits pendant un long moment. J’ai repris mon vélo 2 mois avant les championnats ; le sélectionneur de l’Équipe de France avait confiance en moi et avait décidé de me prendre en Équipe malgré le fait que je n'avais réalisé qu’une seule course sur format supercross. J’espère lui avoir donné raison en m’offrant une grande finale (6ème mondiale).


En début d’année, et plus récemment en Octobre, tu as été sélectionnée avec le Collectif National BMX féminin, l’équivalent de l'Équipe de France relève. L’objectif de ce stage : la préparation aux Jeux Olympiques 2024, à Paris. Y participer, ce serait un rêve pour toi ? L’aboutissement de ton parcours?


Effectivement, j’ai intégré le collectif national où les stages ont pour but de nous «perfectionner» sur les formats supercross afin que l’on soit plus à l’aise sur les courses, mais également nous emmener vers les Jeux Olympiques qui est notre objectif à toutes. Pour moi, en tout cas, c’est un rêve et je ferais tout pour le vivre.



La France est une des nations phares du BMX à l’échelle mondiale, pourtant le nombre de licencié(e)s reste relativement faible.. Comment pourrions-nous accélérer son développement en France, à l’horizon de ces Jeux 2024?


Le nombre de licencié(e)s reste faible parce que la discipline est peu connue. Je n’ai pas de solution miracle, mais nous pouvons peut être communiquer davantage sur le BMX, et essayer de plus le médiatiser.



L’interview touche à sa fin ; as-tu un message à adresser aux personnes qui te suivent au quotidien et aux jeunes filles qui aimeraient se lancer dans le BMX? Un petit mot pour Dame de Sport?


Tout d’abord merci à vous, Dame de Sport pour cette interview et de permettre aux femmes de se faire connaitre au travers de leurs sports. Je remercie également celles et ceux qui me suivent et qui me font avancer. Pour vous les filles, sachez qu'il n’y a pas de sport attribué plus aux garçons qu’aux filles : faites que tout ce dont vous avez envie se réalise. Vous êtes les seules à avoir les cartes en mains, il faut juste savoir jouer la bonne, au bon moment! Croyez en vous, et surtout, n’hésitez pas à voir GRAND. Le rêve n’est jamais très loin.

A bientôt j’espère, sur les bords des pistes!! »

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